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Une alternance inédite ?

mardi 26 avril 2022 par Rédaction

L’émergence du tripartisme à l’occasion des élections présidentielles des 10 et 24 avril 2022 rebat les cartes de l’échiquier politique !

De 1962 à 2017, la Vème République a été marquée par la bipolarisation des forces politiques entre d’un côté le pôle composé des partis de droite et de centre droit et d’un autre côté le pôle composé des partis de gauche et de centre gauche.

En 2017, l’élection d’Emmanuel Macron à la magistrature suprême, suivie de la victoire des candidats de la République en Marche à la députation, a provoqué le délitement progressif des partis traditionnels de droite et de gauche.

En 2022, les partis situés à l’extrême droite et à l’extrême gauche ont supplanté les partis classiques. Malgré l’appel au front républicain, ils arrivent dans le trio de tête. Ils exhortent même les électeurs à leur donner une majorité à l’Assemblée nationale lors des élections législatives des 12 et 19 juin 2022.

Si le parti présidentiel était battu lors des prochaines élections législatives, une alternance inédite en découlerait surtout si la majorité des députés était issue des rangs du parti situé à l’extrême droite ou à l’extrême gauche.

Dans ce contexte particulier, Marie-Christine Steckel-Assouère, conseillère municipale de Lourdes et conseillère communautaire de la Communauté d’agglomération Tarbes-Lourdes-Pyrénées, avait à cœur de partager avec les citoyens intéressés par la vie démocratique des extraits de sa thèse sur le Conseil constitutionnel et l’alternance.

Si le temps passe, ses réflexions de 2002 peuvent, en effet, servir en 2022 de grille de lecture pour comprendre et expliquer le jeu et les enjeux d’une cohabitation d’un nouveau genre, susceptible de résulter des prochaines élections législatives.

Les élus sont politiquement responsables devant les électeurs ! C’est le fondement de la démocratie... Si les élections engendrent une « désinvestiture » de la majorité en place, les gouvernants sont privés d’un nouveau mandat. Il s’agit alors d’une alternance politique.

 

L’apparition tardive de l’alternance sous la Vème République

 

Sous la Vème République, l’alternance se produira pour la première fois en 1981, c’est-à-dire après vingt trois ans d’exercice du pouvoir par les partis de droite. Au-delà de la volonté du corps électoral de maintenir le même parti au pouvoir, cette absence d’alternance s’explique par le fait que les représentants du parti majoritaire et certains juristes insistaient sur les risques de changements politiques et institutionnels liés à l’alternance . De plus, la plupart des constitutionnalistes s’intéressaient soit à décrire la réalité constitutionnelle (positivistes) soit à exposer ce qu’elle devrait être (normativistes), et par conséquent ne s’attachaient pas à la question de l’alternance à l’exception de M. Duverger et G. Vedel . Des juristes - H. Kelsen , M. Duverger, R. Capitant, A. Hauriou, et J. Chapsal - et des hommes politiques - G. Pompidou, V. Giscard d’Estaing, F. Mitterrand et M. Debré – ont même été les avocats de l’alternance.

L’opposition de gauche valorisait, en outre, l’alternance en promettant le progrès et le changement irréversible de la société vers le socialisme. Cette ambition fut, toutefois, démentie par les faits car l’idée d’alternance est, par essence, incompatible avec celle d’irréversibilité. C’est, d’ailleurs, le ralliement de la gauche aux institutions qui contribuera à l’émergence de la problématique de l’alternance puis sa réalisation en 1981 . S’ils souhaitent accéder au pouvoir, les partis de l’opposition doivent se rallier aux institutions et s’exprimer au nom de la nation et non des intérêts corporatistes de leurs électeurs. L’alternance repose, ainsi, sur le choix des électeurs entre le discours de représentation de la majorité et le discours de représentativité défendue par la minorité.

 

 

La différenciation de l’alternance et la révolution

 

Dans le discours politique, l’alternance est souvent utilisée comme synonyme de révolution. L’assimilation entre « alternance » et « révolution » se développe surtout dans les pays ne pratiquant pas l’alternance à cause des partis extrêmes car les gouvernants utilisent le spectre de « l’alternance rupture » pour rester au pouvoir, tandis que l’opposition se sert de cette dimension idéologique pour conquérir le pouvoir. Le socialisme, par exemple, trouve son origine, en France au XIXème siècle, dans le mythe du « grand soir » en raison de l’absence d’alternance. Si l’alternance repose sur le mythe de la « tabula rasa », impliquant un changement total et irréversible, elle s’appuie aussi sur le mythe de la « cyclicité du temps », c’est-à-dire sur l’idée de l’éternel retour. L’alternance ne provoque pas, en effet, de changement de régime ou de constitution.

La révolution a constitué dans l’histoire française, un mode d’abrogation des constitutions : les chartes de 1814 et de 1830 ont été respectivement abrogées par les révolutions de juillet 1830 et 1848. Le critère juridique de la révolution est d’ailleurs le renversement de l’ordre juridique par une procédure non prescrite par le droit en vigueur . Cette idée est confirmée par la théorie des catastrophes de R. Thom selon laquelle si la révolution remet en cause le paradigme de légitimité de la société, l’alternance assure sa permanence . De même, le juriste C. Schmitt mettait en exergue le fait que la révolution entraîne, en sus de l’abrogation de la constitution, le changement du titulaire de la souveraineté comme le passage de la souveraineté royale à la souveraineté nationale en France en 1789. L’alternance se réalise, au contraire, dans le cadre juridique en vigueur et exige surtout l’intervention du législateur pour l’adoption des réformes engagées par la nouvelle majorité. Si l’alternance assure la fonction jouée par la révolution au 19ème siècle, c’est seulement pour le renouvellement des élites – gouvernants et personnel politique. L’éventualité d’une alternance permet d’éviter la révolution en ce sens que l’organisation régulière d’élections évite une contestation radicale du régime en vigueur. Cette institutionnalisation de la contestation contribue à encadrer le conflit, dès lors, l’alternance, sanction politique des gouvernants, apparaît comme un palliatif de la révolution. En conclusion, l’alternance, même si elle engendre une évolution du régime politique, n’engendre pas un changement de régime politique comme la révolution.

 

La différenciation de l’alternance et l’alternative politique

 

Dans le discours politique, l’alternance est parfois utilisée comme synonyme d’alternative politique. Ces deux vocables ont même pendant longtemps été confondus alors qu’ils peuvent être dissociés. Il est même incorrect, d’un point de vue sémantique, d’identifier l’alternance à l’alternative politique car cette dernière correspond à l’idée de choix. Selon le « Trésor de la langue française » du linguiste P. Imbs, « l’alternative » en tant que nom caractérise, à partir de 1680, une obligation alternative, c’est-à-dire qu’il n’est que deux partis possibles. Le dilemme politique de Mac Mahon, en 1877, entre « se soumettre et se démettre » illustre parfaitement cette première acception. L’utilisation du terme « alternative politique » comme synonyme d’alternance est, dès lors, un détournement sémantique dont le but est de lui donner une dimension millénariste . L’idée de résurrection du monde, assurée autrefois par la succession des rois, serait, ainsi, garantie par l’alternance des partis politiques dans la mesure où ces derniers seraient censés permettre la « renovatio universelle » . Certes, les élections assurent le renouvellement du temps politique et correspondent à des rites de communion puisque les résultats du vote unissent les électeurs mais l’alternance n’engendre pas une alternative politique, c’est-à-dire une nouvelle société fondée sur une nouvelle idéologie. Avant et après l’alternance de 1981, les communistes parlaient de « changement », impliquant l’idée d’irréversibilité, et non d’alternance alors qu’il s’agissait seulement d’une alternance au(x) pouvoir(s) n’engendrant pas un changement de société irréversible.

La pratique de l’alternance a mis en lumière son effet stabilisateur et le respect des fondements politiques et économiques de la société. Si les premières alternances peuvent provoquer un mouvement de balancier en ce qui concerne les politiques et les règles de droit, l’ordre établi n’est pas abrogé. Face aux contraintes – politique, économique et internationale – et à la régulation des effets juridiques de l’alternance par le juge constitutionnel, le gouvernement a réalisé, dès 1982, un « changement de cap » pour revenir à la politique libérale appliquée précédemment . L’alternance « s’identifie moins à la transformation qu’à la conservation » car elle n’engendre pas une alternative politique . Les disciples de Marx critiquent, d’ailleurs, l’alternance parce qu’elle n’implique pas une nouvelle société fondée sur le communisme .

Si l’alternance implique le changement des politiques, elle ne doit pas être confondue troisièmement avec le « changement de politique » réalisé en dehors de toute consultation électorale . L’alternance se distingue, quatrièmement, du « changement électoral », nouvelle composition de la coalition de partis au pouvoir sans renversement du pôle majoritaire. Les élections à la magistrature suprême de G. Pompidou et surtout de V. Giscard d’Estaing entraînent un changement du gouvernement et des politiques mais ces situations correspondent à un glissement entre deux composantes du même pôle, en l’occurrence celui de droite .

 

Les répercussions de l’alternance

 

Les grandes et petites alternances ne remettent pas en cause le régime constitutionnel en place mais elles impliquent l’intégration des réformes politiques dans l’ordre juridique sous le contrôle du juge constitutionnel. Il en résulte un exercice du pouvoir modéré. Par une lecture littérale de l’article 16 de la DDHC, le Conseil constitutionnel distingue les gouvernés des gouvernants et rappelle la soumission des seconds aux premiers. Après l’alternance de 1981, le Conseil constitutionnel affirme que la « loi n’exprime la volonté générale que dans le respect de la constitution ». La « démocratie constitutionnelle » a donc supplanté la « démocratie majoritaire » puisque le juge constitutionnel sanctionne le non-respect des règles constitutionnelles par le législateur.

Le souverain, c’est la nation, mais celle-ci est écartée de l’exercice du pouvoir . Il convient de distinguer, comme à la Révolution française, la souveraineté extraordinaire exercée par la nation constituante et la souveraineté ordinaire attribuée aux pouvoirs constitués. Le peuple, loin d’être écarté du pouvoir, est un acteur de la politique puisque l’alternance lui donne la faculté de choisir les gouvernants et d’influencer indirectement la législation.

 

 

* Extraits de l’ouvrage STECKEL (M.-Ch.), Le Conseil constitutionnel et l’alternance, LGDJ, collection Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, Tome 106, 2002.

Les articles de la revue Pouvoirs n°1de 1977 insistaient sur les techniques juridiques permettant de limiter les risques de conflits et d’instabilité (articles 12 sur la dissolution et 16 relatif aux pouvoirs exceptionnels) liés à la petite alternance.

Voir les articles parus dans le quotidien Le Monde de M. Duverger : « Le respect des institutions » (13/02/1973), « Un quadrille bipolaire » (15/03/1973), « Se soumettre ou se démettre » (11/11/1975), « Le pouvoir modérateur » (28/05/1976) et de G. Vedel : « Equivoque et changeante » (25/10/1973) et « Le testament et l’inventaire » (20/06/1974).

H. Kelsen, La démocratie, sa nature, sa valeur, traduction de Ch. Eisenmann, Economica, 1988, p.63.

O. Duhamel, « De l’alternance à la cohabitation », in O. Duhamel, J.-L. Parodi, La constitution de la Vème, Presses de la F.N.S.P., 1988, p.528 ; M. Duverger, Le système politique français, PUF, Thémis, Paris, 1996, p.499 ; J. Massot, Chef de l’Etat et chef du Gouvernement dyarchie et hiérarchie, Les études de Doc. fr., 1993, p.45.

O. Beaud, Etat et souveraineté. Eléments pour une théorie de l’Etat, 1989, p.393.

R. Thom, Apologie du logos, Hachette, 1990, France, p.442-443.

C. Schmitt, Théorie de la constitution, Léviathan, PUF, 1993, Paris, p.230.

L’alternance révèle la « responsabilité électorale » des élus. D. Baranger, « Une tragédie de la responsabilité. Remarques autour du livre d’Olivier Beaud : le sang contaminé », RD publ., 1999, p.31.

« Ce cyclone dont on se demandait s’il ne balaierait pas les institutions, c’est l’alternance ». Voir M. Waline, « Quelques réflexions sur les institutions de la Vème République », RD publ., 1982, p.599.

Ph. Ségur, Le pouvoir et le temps, A. Michel, 1996, p.136.

M. Dreyfys, L’Europe des socialistes, Questions au XXème siècle, Editions Complexe, 1991, p.312.

A. Hauriou, J. Gicquel, Droit Constitutionnel et Institutions Politiques, Montchrestien, 1980, p.906.

P. Avril, « Droits et de devoirs de l’opposition », Après-demain, n°151, 1973, p.14.

Pour A. Gramsci, l’alternance politique concernant les factions (partis politiques) est insuffisante car elle ne porte pas atteinte, à la différence de l’alternance idéologique, à la classe dominante. H. Portelli, « Alternance ou alternative, d’après Gramsci », Projet, n°85, mai 1974, p.540, 543.

Par ex., « la modification de la ligne politique mais dans le même schéma » en 1957, avec l’arrivée de N. Khrouchtchev dans l’ancienne Union soviétique, et le changement de politique en 1976 après la disparition du Grand Timonier en Chine.

J. Cadart, B. Chantebout, M. Miaille, et al.,  « Le régime a-t-il changé ? », Pouvoirs, n°9, 1979, p.74, 76, 81 ; B. Chantebout, « Bilan constitutionnel », RPP, Paris, n°891, mars et avril 1981, p.33.

G. Burdeau, F. Hamon, M. Troper, Manuel de droit constitutionnel, 26ème édition, L.G.D.J., Paris, 1999, p.438 ; P. Avril, « Ce qui a changé dans la Vème République », Pouvoirs, n°9, 1979, p.57 ; J.-M. Huon de Kermadec, « La banalisation des sessions extraordinaires à vocation législative du Parlement français », RFDConst., 1995, n°22, p.237.

La nation étant une entité abstraite, qui représente « la totalité sociale », il y a un « lieu vide de pouvoir ». Voir P. Rosanvallon, La démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté en France, Edition Gallimard, 2000, p.22.